Siècle cruel (2)

Les scènes de « sadisme » dans l’oeuvre du Marquis illustrent davantage son propos philosophique qu’elles n’en constituent la matière.

A ce moment de l’histoire de Justine (voir extrait ci-après), Thèrèse / Justine commence à comprendre le libertinage dont elle est la victime et ce qu’il représente : une jouissance mortifère.

Il est donc intéressant d’observer que la résurgence actuelle de l’oeuvre de Sade correspond à une époque où les plaisirs et la jouissance plus ou moins pornographiques voisinent, dans la société du spectacle (pour reprendre l’expression de Debord), avec les images de guerres et de catastrophes, de morts et de décapitations en direct.

sade

Intéressant de remarquer que le Marquis et son œuvre sont passés de l’enfermement à la Bastille, du long purgatoire de la censure tout au long des 19ème et 20ème siècles, aux expositions dans les musées, à la reconnaissance institutionnelle du 21ème siècle.

Intéressant de remarquer que les figures cagoulées qui ont ensanglanté le 7 janvier la salle de rédaction de « Charlie » n’ont pas attaqué l’exposition Sade au Musée d’Orsay mais un hebdomadaire satirique anti-institutionnel et en perte de vente depuis plusieurs mois…

Notre siècle est cruel parce que la duplicité de la parole à commencer par la parole politique, la manipulation des images, leur commerce mercantile apparaissent de manière plus nette aux yeux du plus grand nombre.

Siècle cruel d’autant plus que la doxa et le retour du religieux nous contiennent de révéler cette duplicité, voire nous l’interdisent.

Ce dimanche après-midi, à Paris, dans la marche pour « Charlie » ,il y aura sans doute de la duplicité et certainement moins de monde dans les musées.

Extrait : THERESE EN POSTURE

«Il s’agissait d’être légèrement appuyée sur les genoux , au bord d’un tabouret mis au milieu de la chambre, les bras soutenus par deux rubans noirs attachés au plafond.
A peine suis-je en posture, que le Comte s’approche de moi la lancette à la main ; il respirait à peine, ses yeux étaient étincelants, sa figure faisait peur ; il bande mes deux bras et en moins d’un clin d’oeil, il les pique tous les deux.
Il fait un cri accompagné de deux ou trois blasphèmes, dès qu’il voit le sang, il va s’asseoir à six pas, vis à vis de moi. Le léger vêtement dont il est couvert se déploie bientôt : Zéphyre (l’un de ses 2 valets) se met à genoux entre ses jambes et le suce; et Narcisse (le 2ème valet), les deux pieds sur le fauteuil de son maître, lui présente à têter le même objet qu’il offre lui-même à pomper à l’autre.
Gernande (le Comte) empoignait les reins de Zéphyre, le serrait, le comprimait contre lui mais il le quittait néanmoins pour jeter ses yeux enflammés sur moi.
Cependant mon sang s’échappait à grands flots et retombait dans deux jattes blanches placées au-dessous de mes bras.
Je me sentis bientôt affaiblir.
-Monsieur, monsieur, m’écriai-je, ayez pitié de moi, je m’évanouis .
Et je chancelai ; arrêtée par les rubans, je ne pus tomber mais mes bras variant et ma tête flottant sur mes épaules, mon visage fut inondé de sang.
Le Comte était dans l’ivresse…
Je ne vis pourtant pas la fin de son opération, je m’évanouis avant qu’il ne touchât au but ; peut-être ne devait-il l’atteindre qu’en me voyant dans cet état ?
Peut-être son extase suprême dépendait-elle de ce tableau de mort ? »

Justine ou les Malheurs de la vertu, édition de Béatrice Didier
(pages 234, 235.)