Assignés à résistance

Ce gouvernement fait de nous tous des assignés à résistance. Assignés. Mais pas résignés.

Que l’état d’urgence ait été détourné pour servir à faire taire ou à intimider des zadistes ou des opposants écologistes (assignations à résidence pendant la COP 21, manifestations interdites, maintien de l’ordre disproportionné contre les mobilisations sur la loi El Khonnry), ce sont des faits avérés. Que cet état d’exception n’ait eu qu’une utilité policière toute limitée en permettant de débarquer à trois heures du mat’ chez une poignée de comploteurs islamistes, c’est le peu de résultats tangibles que les flics ont obtenu. Alors pourquoi, face à un résultat aussi minable que perverti, faut-il aujourd’hui faire passer ces mesures dans le droit commun ? Pourquoi persister dans la connerie et adopter une loi scélérate de suspicion généralisée ?

S’agit-il de déjouer des attentats ? «Depuis début 2017, 12 attentats ont été déjoués», a justifié le ministre de l’Intérieur lors des débats en commission des lois. Tant mieux ! Mais n’est-ce pas plutôt parce que les milieux islamistes sont infiltrés, les réseaux et les communications des terroristes patiemment écoutés, les faux prédicateurs barbus et vrais fouteurs de merde identifiés par le renseignement. En tout cas, pas parce que les perquisitions tombent à n’importe quelle heure.

Est-ce pour rassurer le bon peuple ? Celui qui n’a rien à se reprocher et dont vous faites partie ? Pas si sûr… Peut-être en faites-vous partie aujourd’hui. Mais demain ? Imaginez qu’une nuit, on frappe à votre porte aux cris de « Police, ouvrez-nous ! » quelle sera votre réaction ? Essayerez-vous de fuir par la fenêtre, les toits, les égouts, que sais-je ? De résister, si vous avez pris la précaution de vous armer ? Ou sortirez-vous innocemment ? Monterez-vous sans rechigner dans le wagon plombé ?

Ou pour se raconter des histoires ? En remplaçant les «perquisitions administratives» par des «visites domiciliaires», les «assignations à résidence» par des «mesures individuelles de contrôle», et les zones de «surveillance» par des zones de «protection», qui le législateur croit-il tromper sinon lui-même. Nul n’est dupe du glissement sémantique.

Veut-on contrer un discours de plus en plus diffusé sur internet et les réseaux sociaux ? Loin de s’en tenir aux écrits ou aux propos tenus lors d’une prière, par exemple, la nouvelle loi introduit les notions floues d’«idées» et de «théories diffusées». Donc un délit d’intention. Il n’est plus nécessaire d’apporter des éléments matériels de preuve pour caractériser une infraction terroriste. Toute idée à contre-courant pourra être interprétée comme délictueuse.

Est-il question d’être plus efficace ? Les zones de protection prévues pour assurer la sécurité des lieux «soumis à un risque d’acte de terrorisme» établiront sur simple décision préfectorale, des périmètres à l’intérieur desquels il sera possible de procéder à des palpations de sécurité et des fouilles des véhicules inopinées, opérées par des agents de sécurité privée. A Paris, avec le nombre de salles de concerts, les « zones de protection » couvriront des quartiers entiers où n’importe qui pourra se faire arrêter arbitrairement sur simple suspicion. Ne vous baladez plus avec votre couteau suisse en espérant garnir un sandwich de saucisson lors d’un pique-nique urbain !

Loi après loi, la douzième loi sécuritaire en quinze ans, l’élargissement du spectre de la suspicion, dans l’indifférence des moutons-citoyens, restreint toujours plus les libertés publiques. Souvenons-nous que, dans les années 70, le Conseil constitutionnel considérait la fouille des coffres de véhicules comme une atteinte à la vie privée (loi sécurité-libertés). Aujourd’hui, ça ne choque plus personne. L’effet de sidération lié aux attentats (130 morts le 13 novembre 2015) et la croyance erronée que la multiplication des lois sécuritaires a une efficacité concrète, entraînent une érosion du réflexe démocratique consistant à tenir la police en laisse. La France a connu suffisant d’heures sombres dans son histoire pour que tout un chacun sache qu’il n’y a pas de « bonne » police. Il n’y a qu’une police aux ordres de la loi. Et si cette loi change et tombe un jour entre les mains d’une dictature, celle-ci sera en guerre contre vous, son « bon peuple ».

Suite : Bravo les godillots ! Si ce n’est pas un Parlement-croupion, ça ! La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a été publiée au Journal officier daté du 31 octobre. Elle n’a fait l’objet d’aucune saisine parlementaire du Conseil constitutionnel.