Déflation et récession, les deux mamelles de la guerre.

La déflation, tout d’abord.

Les historiens s’intéressent au prix du pain ou du grain, les économistes modernes à celui de l’énergie. L’annonce d’un prix du baril de pétrole négatif sur le marché mondial, du jamais vu, laisse présager le pire. Le ralentissement de l’économie mondiale est si brutale que les pays producteurs sont en excédent de production et doivent payer (sic) leurs fournisseurs pour se débarrasser de leur ressource. Tous les accords entre pays producteurs de pétrole seront inefficaces à enrayer la baisse, car depuis plusieurs décennies, les Etats-Unis, du fait de leur position dominante grâce au gaz de schiste, ont réussi à briser la cartellisation de l’offre.

Le danger géostratégique est le suivant : dans des économies où l’alimentation de la population dépend entièrement de la rente gazière ou pétrolière, l’effondrement du cours à l’échelle mondiale, provoquera immanquablement une perte gigantesque de pouvoir d’achat, éventuellement compensée localement à coup d’inflation galopante par les gouvernements, ce qui va provoquer tout aussi immanquablement une colossale instabilité sociale. Ce scénario fut celui de l’arrivée du FIS en l’Algérie, de la révolution d’El Tahir en Egypte. Et même lorsqu’un pays fragile comme la Tunisie semble échapper à l’extrémisme des bonnets de nuit, la fin du tourisme européen sonne le glas de la paix sociale. Dans le cas des monarchies du Golfe persique, suivez les mouvements de population. Si elles commencent à renvoyer en masse leurs travailleurs Indiens, Pakistanais, Philippins chez eux, ce sera mauvais signe.

L’autre mauvaise nouvelle liée à cette chute du prix du baril est qu’il n’est plus vraiment intéressant de doper nos vieilles économies carbonées à coups d’énergie verte, puisque le différentiel de prix lui est soudain trèès défavorable. Les centrales thermiques allemandes ont encore de beaux jours devant elles.

Cependant si l’économiste moderne s’intéresse en priorité au prix du pétrole, c’est encore du pain que mange les populations. Mais là, le prix de celui-ci ne baissera plus, même si la production de grain se maintient à des niveaux records. La Russie qui est exportatrice vient d’annoncer (26/4) qu’elle privilégiera son marché intérieur. Le prix risque plutôt de s’envoler. Les autres producteurs-exportateurs – Etats-Unis, France – ne le diront pas, mais le marché mondial parlera de lui-même. Au Sud, des sociétés déstabilisées, bientôt en crise de subsistance, voire en famine. Au Nord, des économies repliées sur elles-mêmes.

La récession, ensuite.

L’économie chinoise présentait déjà avant le confinement des signes d’essoufflement. La récession est désormais bel et bien là. La seule solution pour que le Parti s’en sorte, c’est à dire qu’il relance l’activité de l’atelier du monde dans un contexte globalement ralenti, serait qu’il distribue (enfin!) un peu de pouvoir d’achat à sa propre population. De façon à permettre une reprise d’activité par une croissance auto-centrée. Que les Chinois puissent s’offrir des voitures chinoises, des maisons individuelles chinoises. Mais je ne crois pas que le gouvernement chinois le fasse, je crois plus à l’égoïsme des riches, de cette caste rouge au pouvoir depuis plus de soixante dix ans.

Les économies occidentales, l’Europe, les Etats-Unis, subissent une perte de PIB de 5% sur le premier mois de la crise. Ils injectent des milliards sous forme de prêts à leurs entrepreneurs, à leurs salariés en chômage partiel, etc. En argumentant qu’ils empruntent à 0%. Les critères de Maastricht ont explosé en vol et je m’en félicite. Mais je pense que ce sera pour mieux les faire revenir par la fenêtre. Le poids de la dette servira d’argument à des coupes encore plus radicales dans les budgets d’aides sociales ou d’intervention de la puissance publique. Même si l’espérance de vie est dans le creux de la vague sur les deux ou trois années qui viennent, une fois un vaccin mis sur le marché, on pourra à nouveau réformer les retraites, à nouveau diminuer l’assurance-chômage, à nouveau pressurer l’hôpital public, etc.

Sur le seul mois de mars 2020, le chômage vient de faire un bond en France de 7%. C’est un flot d’individus en chômage partiel qui arrive au guichet. Même si le régime indemnitaire tient le raz-de-marée, la perte du pouvoir d’achat est certaine. De combien, nul ne le sait encore. Cette crise va très certainement accélérer le capitalisme numérique vers lequel nous allions déjà. Fini le phone, tout le monde en visioconf. Fini les cinémas, vive le VOD. Rendez-vous sur le cloude. Tout ce qui n’était pas encore robotisé ou dématérialisé, va l’être. Cependant soit cette crise ne fait qu’accélérer le chômage et le mécontentement social. Soit elle induit une réponse innovante : une des solutions serait de distribuer le “panem et circenses” gratuitement, d’instaurer enfin ce revenu universel pour tous. En le finançant sur le long terme par un impôt sur les machines et les robots. Tout en revalorisant (nous voulons des pépettes !) des métiers jusqu’alors déconsidérés : soignants, éboueurs, caissières.

Mais souvenez-vous, je crois plus à l’égoïsme de quelques riches, plus riches que les autres, qu’à la bonté de tous envers tous. Le jouet est cassé, mais tant qu’il pourra encore rendre un peu de pognak, il faut le faire suer. Et remplacer les caissières par des caisses automatiques à lecteur rfyd, les infirmières par des robomédics et de l’intelligence artificielle. Tout cela n’ira pas sans récriminations sociales et le retour des Gilets Jaunes. Qui finiront bien par porter démocratiquement au pouvoir leur Voussavéki ! Lequel aura tout moyen légal de faire taire les grenouilles récalcitrantes en les passant une bonne fois pour toutes à la casserole.

Dans cette crise qui vient, ce monde d’après, la théorie de la destruction créatrice de Joseph Schumpeter ressemble à une vieille lune. La “guerre” annoncée par M. Macron n’en est pas vraiment une : elle n’est que le détonateur d’un collapsus. Parce que la pandémie ne détruit que quelques vies. Qu’à part l’industrie du masque ou du respirateur, elle n’entraîne aucun boom de production. Pas de chars à construire par milliers, pas d’avions de combat, de bombes et toute cette sorte de choses. Pas non plus de villes à reconstruire.

La guerre, la vraie, n’est pas pour le jour d’après. Mais pour l’après jour d’après. Je parle d’un temps que je ne verrai peut-être pas. Aussi je me fais l’effet d’un oiseau de malheur (bien que je propose des pistes optimistes, avez-vous remarqué ?). Doublé d’un vieux con.

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Note à mes lecteurs de l’édito précédent : Je leur présente mes excuses pour avoir cru que notre gouvernement sur-réagissait. Parce que nous nous sommes faits EN-FU-MES par les Chinois. Leurs statistiques étaient bidonnées. Il fallait les multiplier par dix. Ce que l’on sait grâce à cette courageuse journaliste chinoise qui s’est mise à l’entrée du crématorium de Wu Han, le premier jour du déconfinement pour compter les petites boîtes que les familles venaient chercher. Deux pays, qui n’ont jamais fait confiance aux empereurs rouges, Taïwan et la Corée du Sud, ont maîtrisé la crise chez eux, parce qu’ils savaient que les statistiques étaient bidons. Par ailleurs, j’ai de plus en plus l’impression que nous sommes plutôt face à une arme bactériologique “échappée” d’un laboratoire, que confrontés à une épidémie accidentelle. Ma prochaine Une, portera sur le complotisme. J’essayerai de dire quelque chose de pas trop con sur ce sujet…