La dictature du bonheur

« Le bonheur, c’est simple comme un coup de fil… » nous dit une pub pour le téléphone. Suffirait-il d’avoir un téléphone (oui, mais un portable intelligent !) pour être heureux ? Auquel cas, ça fait beaucoup de crétins-zeureux. Juste quand l’industrie du portable se casse la gueule, j’imagine le bonheur que c’est de dire au téléphone : « Chéri, je suis licencié ! »

prozac
Dé-grisez vous la vie !

« Chacun appartient à tous les autres »*

Quand sait-on que l’on est heureux ? Sans que la pub nous le dise… Ce bonheur est si vague, si évanescent, si relatif que pour certains c’est un bol de riz aujourd’hui, pour d’autres c’est obtenir ce putain de crédit pour la bagnole. En tous les cas, le bonheur, c’est les autres. Etre ensemble, en tribu, en famille décomposée, voilà le bonheur moderne.

« Mieux vaut finir qu’entretenir » *

Le bonheur comme projet social est un bonheur martelé par la publicité qui n’a plus rien à voir avec « Pensées pour moi-même » (Marc Aurèle) ou avec Montaigne. Ce n’est plus un bonheur de survie, de dents serrées et de lendemains d’incertitudes. C’est un bonheur facile, fait de sécurité des biens et des personnes. C’est un bonheur de pure consommation (se souvenir de l’étymologie de ce mot : « consumptio » qui a donné « consumer »), de parfaite destruction. Et l’humain a commencé il y a longtemps déjà à consumer la planète toute entière, j’en ai pour preuve qu’elle se réchauffe.

« Tout le monde est heureux à présent » *

(*) Citations du génial roman à lire et à relire d’Aldous Huxley : “Le meilleur des mondes”

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais quand la pub vous le dit, ça devient une évidence ! Dit différemment, ça donne : « K’es t’a, t’pa heureux ! » Coup de poing de l’affiche (pardon, du visuel) dans ta gueule. La pub est faite désormais par de jeunes cons qui se défendent de prendre leurs contemporains pour des cons, mais quand même un peu… Ce diktat du sourire permanent m’insupporte. Malheur à celui qui ne rigole pas, au taciturne, au blême et au blafard ! Mais quoi, si je suis triste, pourquoi ne pleurerais-je pas ? Serions-nous déjà sur « Alphaville » de Jean-Luc Godard?

« Avec un centicube, guéris dix sentiments » (*)

Le bonheur est affaire de couleur. Tant que l’humain arrivera à distinguer le bleu : le Viagra, du rouge : le Soma/Prozac, tout ira bien. Le bonheur est dans les molécules. Après les manipulations hasardeuses des comportements humains, voici venu celui imparable des manipulations chimiques. Cherchons la molécule du bonheur, avant d’être tous pré-cablés génétiquement pour celui-ci. L’eugénisme n’a d’autre finalité que celle-là : faire notre bonheur… Même malgré nous !

Le bonheur, c’est simple comme une molécule !

 

(*) Ces messages intercalaires vous étaient offerts gracieusement par le roman « Le Meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley. A (re)lire de toute urgence.