Nous sommes fétichés

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Selon Karl Marx (1818-1883), la monnaie n’est qu’une chose : « Comme forme de cette valeur ou valeur d’échange proprement dite, une marchandise quelconque peut être exprimée par certaines proportions de toutes les autres marchandises qui en retour sont exprimées dans la première : celle-ci joue alors le rôle de « marchandise-monnaie ou argent ». (…) Les rapports sociaux marchands sont ainsi transformés en rapports de choses ».

Qu’attend l’humain moderne, des objets dont il s’entoure jusqu’à s’en étouffer ? Du plaisir, encore du plaisir, toujours du plaisir. Le plaisir en tant que promesse unique du marché, marché de putes ou de dupes, éternelle promesse toujours instanciée dans chacun de ces objets, et pourtant jamais concrétisée de manière radicale.

Certains parviennent même à assimiler personne et objet. Parce qu’ils croient qu’une personne, objet de leur désir, doit nécessairement devenir objet de plaisir, qui n’est que plaisir de possession. C’est une « confusion des sentiments » plutôt banale, et qui trouve son point culminant dans certains comportements obsessionnels qui mènent assez directement au meurtre. Car toute idée de possession ne peut qu’aboutir à un constat d’inépuisement de l’objet, donc d’impuissance et de plaisir inassouvi.

Le marché n’est finalement motorisé que par la frustration, c’est-à-dire l’inassouvi répété de la névrose. Le bien consommé est consumé avant d’être possédé dans son entier. Il disparaît toujours dans l’usage qui en est fait et aucun ingénieur n’aurait plus l’idée saugrenue de mettre sur le marché un bien inusable. Bien que l’industrie en soit capable. L’obsolescence de l’objet est calculée pour en faire l’objet le plus éphémère possible. Minimiser la durée, maximiser le plaisir : telle est la loi des plaisirs décroissants.

La liberté sexuelle débordante de la masse désirante est donc devenue une obligation économique. Le sexe se marchandise (le plus vieux métier du monde) et la marchandise se sexualise à outrance. Si vous l’aviez oublié c’est parce que vous ne regardiez plus les pubs. Mais ça ne ré-enchante pas le monde comme certains voudraient nous le faire croire.

Consommer est devenu le devoir social et civique absolu : un président américain est même parvenu à appeler ses concitoyens à consommer pour soutenir la croissance, car la croissance est la grandeur nationale. Consommer comme acte patriotique : quel vide de perspectives et de programme politique ! A contrario, épargner, c’est différer son plaisir. Ca peut être le début d’une prise de conscience. Mais c’est le plus souvent asservir ceux que l’on aime – ses enfants – au même processus. L’épargne que l’on transmettra par héritage est le grand vecteur de la reproduction sociale.

Dire que « le monde n’est pas une marchandise » c’est dénoncer l’inassouvi dans la possession de l’objet-monde. Une telle dénonciation ne peut être que d’une violence inouïe.