oxymore (ou oxymoron)

oxymoronOxymore ou Oxymoron n.m du gr. oxumôron, de oxus piquant, et môros émoussé). Réthorique : rapprochement de deux mots qui semblent contradictoires (ex : une obscure clarté). S'il est vrai comme l'affirme Kenzaburo Oé que: "les mots des individus sont empruntés au groupe dominant, [qu'] ils charrient avec eux le sens de cette domination, et l’acceptation de celle-ci" alors nous sommes de plus en plus asservis à une langue qui nous écrasent et nous contraint à ne plus penser que selon un seul mode, en folie douce, le mode de l'oxymoron.

Il n'y a pas de "développement durable" hormis celui du tout-nucléaire. Ni de "commerce équitable" autre que celui de Pier Import ou de Nestlé. Ni "d'investissement éthique" par Total en Birmanie. Ni de "guerre propre" au Kossovo où les mines anti-personnels ont pollué les bois et les prés pour quelques centaines d'années. Ni de "frappe chirurgicale" lorsque 1.6 millions d'Irakiens sont morts de malnutrition ou faute de soins depuis dix ans du fait de l'embargo anglo-américain. Ni de "blanchiment d'argent" sans l'argent sale de la maffia, des narcotrafiquants, de la prostitution et surtout de la politique. Ni de "haute qualité environnementale" sans défiguration d'un paysage. Ni de "réalité virtuelle" dans un strip-tease en ligne. Ni de "télé-réalité" malgré les gros lolos de Loana...

Ce sont autant d'oxymorons insupportables, les méchantes inventions d'un "communicant". L'oxymoron agit par proximité. Mais le voisinage d'un adjectif angélique suffirait-il à rendre le substantif plus acceptable? Le communicant le croirait volontiers. Parce que ça raisonne court, ce genre d'animal.
L'oxymoron se situe à mi-chemin entre la périphrase et l'euphémisme. Des périphrases telles que "dommages collatéraux" ou "pensée critique" sont déjà comme des syntagmes figés. Et c'est limite supportable. Et les euphémismes comme celui-ci: "c'est un peu outrancier" dénotent le plus souvent l'échelle de courage sur laquelle se situe le locuteur.

Il faudra bientôt toujours brancher son dico-décodeur-déconnant chaque fois qu'on allumera sa télé pour comprendre qu'une "tournante" est un viol collectif commis dans de sombres caves d'immeubles, qu'une "incivilité" est un grave excès de vitesse, qu'un "acte de malveillance" ou une "tentative de menace de mort" est un attentat. A ce rythme, un attentat nucléaire islamiste sera bientôt qualifié d’essai en atmosphère. Le novlangue vivait de l'inversion terme à terme et souffrait d'un afffreux manque de subtilité, il suffisait de le lire dans le miroir pour s'en échapper ("La guerre c'est la paix / la liberté c'est l'esclavage / l'ignorance c'est la force" 1984 de Georges Orwell) tout en échappant par la même occasion à la réalité de la domination sociale.

L'oxymoron rétrécit nos esprits aussi sûrement qu'une console de jeux ou qu'un algorithme à compression destructive. Ce langage ne dit plus rien, il structure seulement un peu, beaucoup, sinistrement nos univers cognitifs et nos petites intelligences. C'est un langage 0% de matière grise, celui d'un enfant à qui l'on aurait oublié d'inventer la rose ou dessiner un mouton. C'est du langage bétonné qui aura bientôt réussi à éliminer jusqu'au désir de rose.