Brevetage du vivant

La loi applicable aux Etats-Unis permet déjà à une entreprise de déposer un brevet sur des organismes vivants qu’ils soient génétiquement modifiés ou non. Et donc les épiciers du complexe génético-industriel (comme il y a un complexe militaro-industriel) font désormais valoir leurs soi-disants droits sur des gènes, aussi bien humains qu’animaux ou végétaux, même s’ils n’en ont pas identifié la fonction.

C’est ainsi,  par exemple, que la société Myriad Genetics (Etats-Unis) en déposant un brevet sur les gènes BRCA1 et BRCA2, vient d’acquérir le monopole mondial du dépistage génétique des cancers du sein et de l’ovaire. Les établissements qui avaient lancé des recherches sur d’autres outils ou méthodes de dépistage génétique se voient dans l’impossibilité de les mettre en pratique sous peine de contrefaçon. L’Institut Curie a donc déposé un recours devant l’Office Européen des Brevets, sans illusion, contre cette pratique monopolistique.

Parce que le législateur américain est un méchant con, parce que que le big-bizness des labos américains s’est organisé en groupe de pression auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce, notamment pour faire adopter le traité sur les “Aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce” (ADPIC) qui vise à reconnaître des droits de propriété intellectuelle sur les organismes vivants, parce que Novartis, Monsanto, Hoechst font pression sur les gouvernements pour que les réglementations nationales et internationales permettent la commercialisation du génie génétique et son usage dans les denrées alimentaires, les biens de consommation, ou les produits pharmaceutique, du coup, soudain, l’Europe se met elle aussi à déconner, en édictant une Directive 98/44/CE, notamment en son article 5.

L’appropriation par quelques intérêts privés, aujourd’hui américains et bientôt aussi européens, du patrimoine génétique commun est prometteuse de très gros profits: les biotehnologies représentent 50 milliards de dollars en 2000 et 500 milliards en 2010. Elles sont donc également prometteuses de très grande misère. Si la politique du brevet sur le vivant est appliquée à l’agriculture, la diffusion de plants brevetés obligera le paysan à se réapprovisionner chaque année auprès des firmes distributrices de semences. Finie la sécurité alimentaire, il faudra d’abord payer pour ne pas être mis hors la loi. Et la santé publique des pays les plus pauvres? Laminée! Remplacée par la promesse de conflits sans fin, comme celui qui porte déjà sur les médicaments (et dont nous nous faisions l’écho ici-même).

Cette politique mercantile a tout naturellement engendré un très lucratif pillage par des entreprises et des universités des pays riches, venus repérer les végétaux les plus intéressants dans les pays pauvres, pour ensuite en breveter une molécule, une séquence génétique, voire toute la plante..

Voici deux exemples particulièrement honteux de ce pillage: la quinoa (Chenopodium quinoa) est une céréale des pays andins et qui était cultivée depuis même bien avant la civilisation inca. Les Indiens ont ainsi développé par sélection des variétés de quinoa adaptées aux conditions climatiques des Andes. En 1994, deux chercheurs de l’université du Colorado ont reçu le brevet américain N°5.304.718, lequel leur a accordé le contrôle des plantes mâles stériles de la variété traditionnelle de quinoa “apelawa”. Ils ont admis n’avoir rien fait pour créer cette variété, mais s’être seulement donné la peine de la cueillir.

En Inde, le curcuma (Curcuma longa) est considéré comme un remède miracle de la médecine traditionnelle ayurvedique. Et en Occident comme une épice, entrant notamment dans la composition des curries. Cette racine orangée est originaire du sous-continent et est utilisée depuis des millénaires pour soigner les entorses, les inflammations, et les blessures locales. En 1995, deux chercheurs américains de l’université du Mississipi se sont vu attribuer un brevet américain (N°5.401.504) pour l’utilisation du curcuma pour les blessures locales, en prétendant qu’il s’agissait d’une nouveauté. Le gouvernement indien a contesté le brevet, qu’il considère comme une forme flagrante de vol et devra fournir la preuve que le curcuma est spécialement utilisé en Inde pour soigner les blessures, sous la forme d’un article académique antérieur au dépôt du brevet.

Le brevet ne doit rien permettre de plus que de garantir un revenu à l’inventeur et de protéger l’utilisateur de toute malfaçon. Aujourd’hui, il préserve un monopole de production et de diffusion à des industries chimiques, pharmaceutiques, semencières, agro-alimentaires sur des durées indécentes de 20 ans. Et renforce ainsi leur enrichissement indu.

Lorsqu’en 1492 Christophe Colomb découvrit l’Amérique, il aurait dû breveter son invention. Et s’en garder le monopole. Comme frein au développement, c’était la solution la plus efficace. Pour que l’Europe n’entende plus parler de ce nouveau continent que comme de terres sous peuplées, lointaines et sans intérêt…