Bernard Tapie (2001)

Monsieur Tapie a le grand honneur d’ouvrir cette rubrique. Mais pourquoi tant de gloire ? D’abord pour la qualité de sa verve, qui a explosé le registre du mauvais goût. C’est un vrai vulgaire («Dubiton, il faut te sucer pour que tu signes les contrats?» et l’intéressé de répondre dans le même registre: «Ta gueule, Tapette, je t’encule!»). C’est un méchant, un pit-bull de banlieue.

Ensuite pour sa tenacité. Son acharnement à se faire passer  -et à réussir à se faire passer!- pour une victime. Dans l’affaire qui l’oppose au Crédit Lyonnais, principal actionnaire de la banque SDBO, dont Bernard Tapie fut le client-vedette, celui qui voulait tout et n’importe quoi, La Vie Claire, Testut, Adidas, tout le monde semble trouver normal que Bernard Tapie, aujourd’hui seulement riche de ses dettes, puisse tenter de voir reconnaître la responsabilité de son banquier dans sa déroute. Autre extrait sonore des mêmes Guignols de l’Info:

On savait déjà que le ballon rendait con. Mais on ignorait que le ballon rond rendait carrément con. Quelle mouche a piqué Bernard Tapie pour qu’il revienne sur les lieux de ses forfaits sportifs: Marseille? Bernard Tapie le sait pourtant bien puisqu’il dit lui-même qu’il “ne peut que décevoir” parce que “quand on a réussi un super-truc, la dernière des choses à faire, c’est de remettre le challenge en jeu”. On peut déblatérer sur le super-truc justement -sa présidence de l’Olympique de Marseille de 1986 à 1994- mais je voudrais surtout revenir sur ce retour.

Que les Français soient aussi oublieux du passé (merde, il a été condamné et a fait 165 jours de prison pour avoir truqué un match) et qu’ils aient le pardon aussi facile, ça c’est déjà vu. Mais qu’ils puissent être autant fascinés par la suffisance de ce personnage de polars, pas du tout côté redresseur de torts, me laisse pantois. Serions-nous face à un de ces cas d’hypnotisme collectif que l’on rencontre parfois en politique? Qui va le croire lorsqu’il déclare: “J’ai changé, je veux juste être utile, je ne ferai plus jamais de politique, ça m’a fait trop de mal.” Et de renchérir: “Si j’avais des ambitions politiques, conclut-il, il faudrait que je m’installe dans un autre registre.” (cité par Le Monde). Détail intéressant qui semble rassurer les caciques du Vieux-Port: ses condamnations l’ont rendu inéligible jusqu’en 2004. “Attendez ! Je ne dis pas qu’ils n’ont pas la trouille. Je sais bien qu’ils sont tous postés sur les toits avec des fusils à lunette pour tirer la nuit ! Ce que je dis, c’est qu’ils ont tort. J’ai plus envie de tout ça.”

Son parcours a toujours été tout en cahots et ses “amis” politiques feraient bien de se méfier. Rien n’arrête les rebondissements du culbuto Tapie. Action replay: lorsqu’il entre en politique en 1988 à Marseille, il est battu aux élections législatives; mais déclaré vainqueur l’année suivante, après l’annulation du scrutin par le Conseil constitutionnel ; il est écarté de l’élection municipale à Marseille en 1989 et en 1995 ; mais il est ministre de la Ville dans le gouvernement Bérégovoy de 1993; il est réélu député en 1993, mais dans une circonscription voisine, Gardanne; il est défait par M.Gaudin aux élections régionales de 1992.

 Parmi les barbons qui lui laissent le champ libre aujourd’hui, il y a Jean-Claude Gaudin et toute la municipalité. Puisque qu’apparemment l’actuel maire laisse la bête de scène reprendre pied sur ce qui pourrait lui servir de tremplin à plus ou moins brève échéance, à savoir l’OM. Car à Marseille cette institution est tôt ou tard, au minimum un marche-pied. Et ce n’est pas un raccourci que de réduire cette ville à son stade: c’est une vérité vraie.

Alors avec le personnage Tapie, il vaut mieux croire ce qu’il écrit que ce qu’il dit (paroles, paroles,…) Ainsi dans Librement (Plon, 1998), récit des six mois qu’il passa en prison, il annonçait: “Voilà tout ce que je pourrais faire demain. De la politique, du sport, des affaires. Et je continuerai à mélanger les genres parce que la vie, elle, les mélange sans respect aucun pour les catégories où nous voulons nous retrancher, sans souci des limites (…) Même si le mélange m’a fait condamner, je suis prêt pour la récidive.” Il oubliait le théâtre (mais son “Vol au-dessus de coucou” n’est jamais arrivé pas à la cheville de la prestation actor’s studio du vieux Jack) et le cinéma dans lesquels il a aussi donné depuis. Mais ça rapporte si peu, ces trucs là.

Avant “Nanard”-le retour, le président de l’OM, Robert Louis-Dreyfus, était excédé par les mauvais résultats sportifs et la déroute financière du club. Il y avait englouti 900 millions de francs: sans résultat. A chaque match, le retour de Bernard Tapie était exigé par les  “Ultras”, “Yankees”, “Marseille trop puissant” et autres milices locales. Or à Marseille, c’est: vox populi, vox dei.

Donc Bernard Tapie vole au secours de Robert Louis-Dreyfus, l’homme qui lui souffla Adidas, en 1993! Au passage, admirons la méfiance du bonhomme: pour faire écran de fumée et continuer à rouler grand train, Monsieur Tapie fils a été sacré patron d’une Sarl “Demain l’événement” : qui verse 50 000 francs de salaires à Papa  et qui reçoit soudain -ô manne céleste, monseigneur est trop bon!- l'”option” à 100 sous que lui a cédée M. Louis-Dreyfus sur 15 % du capital de l’OM. Option non encore levée. Et qui ne le sera jamais pour cause d’endettement. En contrepartie, le travail de Bernard Tapie ne sera pas rémunéré.

Cession tout à fait légale (quelle sont encore ces étranges complicités?) puisque le jugement de la 18e chambre spéciale, en date du 28 juin 2000, le dit en toutes lettres: compte tenu de la complexité des procédures en cours, “l’interdiction de gérer n’aura pas lieu d’être prononcée”. Pourtant pour prendre possession des ces options, Bernard Tapie devrait d’abord sortir de son endettement. Il doit 1 milliard de francs au Crédit Lyonnais, 240 millions au fisc et 5 millions aux douanes. Donc, il n’est pas encore hors d’eau…  Et en réalité le vrai patron de l’OM reste Robert Louis-Dreyfus, qui le tient par les couilles ( v’là que je parle comme lui…) et qui joue toujours à faire rebondir sa baballe.

Lorsqu’il reprend le club marseillais en 1996, la motivation de Robert Louis-Dreyfus est simplissime. Il mise alors sur l’introduction prochaine des clubs en bourse et sur la commercialisation en direct des droits télé de l’OM, le club le plus médiatisé de France. Une certaine jurisprudence (arrêt Bosman) l’y autorise. Mais en 1997, revirement avec Marie-George Buffet au Ministère de la Jeunesse et des Sports : les droits télé du football seront collectifs et les clubs n’auront pas le droit de s’introduire en bourse. D’un club qui paraissait une bonne affaire, il ne détient plus qu’une danseuse qui pourrait lui pourrir la vie. Sa priorité va être: comment s’en débarrasser, sans perdre d’argent. Il voudrait ouvrir le capital, mais ça n’est vraiment  pas un grand succès. TF1 se fait tirer l’oreille. C’est le moment choisi par le chevalier blanc pour arriver au grand galop!

Simultanément, ledit chevalier blanc, Bernard Tapie, est quand même toujours mis en examen pour banqueroute. Face à lui, le Crédit lyonnais, qui réclame 600 millions de francs. Le conflit s’éternise mais “Nanard” contre-attaque avec… Adidas, précisément. Lorsqu’il fut contraint de la céder en 1993, mandat fut donné au Crédit lyonnais pour la revendre. Et il trouve pour nouveau patron: Robert Louis-Dreyfus!

Mais suite à l’enquête parlementaire sur la faillite du Crédit Lyonnais, Bernard Tapie se persuade que sa banque chérie a réalisé au passage, via deux sociétés offshores, une confortable plus-value. Les actionnaires minoritaires de Bernard Tapie Finance (BTF) réclament 6,5 MdF (1 MdE) de réparations au Crédit Lyonnais ! Ils s’estiment lésés par les conditions de ventes successives d’Adidas. En quelques chiifres: lorsqu’Adidas passe de BTF au Crédit Lyonnais, elle est vendue 2 MdF (soit 0,3 MdE), de la banque à Robert Louis-Dreyfus, elle vaut 4,4 MdF (0,67 MdE), et lorsqu’elle est introduite en bourse en 1995, c’est à hauteur de 11 MdF (1,68 MdE). Les plus-values successives enregistrées ne sont pas dans la poche de Bernard Tapie, ni des “petits porteurs” (certaines banques américaines), et c’est pour ça qu’ils pleurent.. Bernard Tapie réclame donc la bagatelle  de 6,5 milliards à sa banque chérie!

Et les hasards de la vie s’en mêlant (s’emmêlant?) font qu’il s’allie aujourd’hui au sein de l’OM avec son successeur à la tête d’Adidas, Robert Louis-Dreyfus. Ce dernier laisse croire à “Nanard” qu’il pourrait lui donner un coup de pouce pour démêler le sac-de-noeuds dans lequel il connaîtrait tous les “dirty tricks”. Dans un étrange témoignage écrit ( 27 mai 1999) Robert Louis-Dreyfus révélait que la banque l’avait approché, “en septembre ou octobre 1992”, pour racheter Adidas, soit plusieurs mois avant que Bernard Tapie ne songe à revendre la société. Mais il ne faut surtout pas croire qu’ au-delà du ballon rond, l’alliance Louis-Dreyfus-Tapie soit une mauvaise nouvelle pour le Crédit lyonnais. Non point. C’est seulement le jeu du “je te tiens tu me tiens par la barbichette…”

Alors pour les petits gars, qui n’auraient toujours pas compris (euh! fiers d’être Marseillais!) voici ce que représente leur idole:

1-  Bernard Tapie est un tocard. Il fut une créature mitterandienne (ou de son cercle rapproché) qui a permis à certains socialistes de prouver qu’il était encore possible de faire fortune sous la Gauche. Comment? En rachetant une société en ruines pour un franc et en la revendant par appartements quelques mois plus tard. En mélangeant les genres, sport et politique c’est à dire “circenses et circenses”. Exemple : “Si les victoires de l’OM sont bonnes pour le PS, alors vive l’OM et vive M. Tapie !”, lançait Pierre Mauroy, premier secrétaire du PS, en visite à Marseille, en 1991. Mais cette époque affairiste est révolue. De plus depuis quelques années, les juges français ont gagné en indépendance et en pugnacité.

2- Aujourd’hui Bernard Tapie n’est plus qu’une marionnette de Robert Louis-Dreyfus (et des Guignols). Une marionnette qui attire la haine comme d’aucuns les mouches. Haine des banquiers floués, des joueurs humiliés, des hommes politiques biaisés, des Marseillais déçus. Robert Louis-Dreyfus manipule les supporters et leur O-M chéri. Il leur donnera le jour venu Bernard Tapie en pâture. Il veut, en semblant céder au chantage des tribunes, leur montrer à quel point leur club (dont désormais plus aucun acheteur ne veut) est devenu craspouille. C’est lui, RLD, qui portera l’estocade finale à Bernard Tapie. C’est à lui à qui tous ces haineux donneront les oreilles … et la queue! Alouette!