Du sang, du pétrole et des larmes

« La nation est en danger car nous faisons face à la plus grande pénurie depuis l’embargo sur le pétrole imposé par les pays arabes dans les années 1970 ». C’est ce qu’écrivait Dick Cheney en mai 2001 sur la politique énergétique des Etats-Unis. A moins que Kenneth Lay, à l’époque encore patron d’Enron, n’ait tenu le stylo en tant que co-auteur.

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Les attentats du 11 septembre sont tombés à pic : ils ont fait un bel écran de fumée au casse du siècle (Enron, Worldcom et les autres) et ont permis de lancer une guerre contre le terrorisme, pour finalement occuper l’Irak et lui voler son pétrole.

Les Etats-Unis ne représentent que 4,5% de la population mondiale. Mais ils consomment 25% de l’énergie produite sur la planète (imaginez un instant ce que donnerait le standard américain appliqué à la Chine…) Bien sûr les Etats Unis sont producteurs de pétrole (au 3ème rang mondial).

Mais leur consommation ne cesse d’augmenter. Et donc leur dépendance. Ils importent 41 % du pétrole qu’ils consomment (soit 19,5 millions de barils par jour), ce qui représente une augmentation de plus de 400 % depuis 1985. Leur production interne stagne (40 % de moins par rapport à 1970) et le coût de celle-ci croît car le pétrole extrait est difficile d’accès, soit off-shore en mer, soit dans le grand Nord, notamment en Alaska. Et le Congrès a interdit à M. Doubya de forer parmi les phoques et les caribous de cette réserve naturelle. Pas de veine pour les Irakiens !

Les principaux fournisseurs des Etats-Unis sont l’Arabie saoudite (15 % des importations américaines) le Canada et le Mexique. Autant de pays déjà dans leur « giron » diplomatique ou économique. Mais les Etats-Unis lorgnent aussi sur l’Asie centrale, où les réserves du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan et de l’Azerbaïdjan sont très importantes. Ce n’est pas par hasard que la guerre en Afghanistan leur a permis d’ouvrir plusieurs bases militaires dans cette région du monde.

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Pour résoudre la pénurie fantasmée par quelques politiciens voleurs, c’est l’Irak qui est l’actuel objet de toutes les rapines. Les réserves irakiennes seraient presqu’aussi considérables que celles de l’Arabie saoudite. Le pétrole irakien était exploité jusqu’à présent par une compagnie nationale irakienne. Auxquels depuis peu beaucoup trouvent toutes sortes de défaut. Il y a fort à parier que cette compagnie ne soit prochainement nationalisée. Et que MM. Dubya ou Cheney ne se portent actionnaires : qui a dit « conflit d’intérêts » ?

Pour ramener le secteur de la production pétrolière au niveau d’il y a dix ans va coûter au moins 5 milliards de dollars. Pour assurer sa croissance au cours des sept à dix prochaines années, 30 milliards de dollars supplémentaires sont à prévoir. (Source : Le Monde du 13-04-2003).

Au-delà du desserrement de la contrainte de ses approvisionnements, les Etats-Unis ont fait, pensent-ils, un beau doublé en envahissant l’Irak. Parce qu’ils vont : 1) rembourser leur petite guerre privée et 2) parvenir enfin à saborder l’OPEP.

1) La seconde guerre du Golfe a coûté (coûts directs) 20 milliards de dollars aux Etats-Unis, mais environ 100 si on y inclut les coûts indirects (notamment les bakchich aux toutous alliés). Les Etats-Unis vont rembourser leur guerre privée en exploitant les ressources pétrolières du pays pour payer une soi-disant dette extérieure. Un magnifique flou artistique entoure le chiffre de la dette extérieure irakienne (entre 60 milliards de dollars estimation Banque mondiale et 360 milliards de dollars estimation du Center for Strategic and International Studies dixit Jean-François Giannesini de l’IFP in Le Monde 18-04-2003) et Doubya n’hésitera pas à présenter n’importe quelle créance, même la plus louche et la plus pourrave.

En Irak l’extraction d’un baril coûte 4 dollars. Le prix d’équilibre du baril revenant à 22 dollars, l’Irak devrait produire environ 5,5 milliards de barils pour payer cette dette, dans l’hypothèse où la totalité des revenus du pétrole serait consacrée à son remboursement. Un tel volume correspondrait à une production moyenne sur 5 années de 2,5 millions de barils/jour, égale à la capacité retrouvée d’avant la première guerre du golfe.

Je prends les paris : je prétends que les Américains resterons au moins 5 ans en Irak et qu’ils consacreront la totalité des revenus du pétrole irakien à rembourser la soi-disant dette extérieure. Pas de reconstruction, pas de progrès économique, pas de démocratisation : Doubya et Cheney s’en foutent comme d’une guigne !

2) Quant au sabordage de l’OPEP, tous les pétroliers texans en rêve depuis les années 70. Les Américains feront imploser l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en exonérant l’Irak des contraintes des quotas de production. Le contre-choc pétrolier qui en résulterait, avec des prix en dessous de 15 dollars du baril, ne serait pas pour déplaire aux dirigeants du pays le plus énergivore de la planète. Ils devraient exploiter le pétrole irakien un peu plus longtemps que prévu ou faire quelques investissements de plus. Mais si le retour sur investissement est quasi-immédiat, ils n’y rechigneront pas.

Un seul os dans ce trop beau programme : l’ONU. L’organisation internationale veut bien lever (ou suspendre) l’embargo imposé à l’Irak en 1991, mais en échange d’un droit de regard sur l’administration irakienne du pétrole. En un mot que la ressource pétrolière ne soit pas administrée par Jay Garner mais par les Nations Unies.

Pourquoi ne pas nommer Bernard Kouchner à ce poste hautement sensible ?