L'école est finie

En juillet 2012, dans un lycée de province, devant une assemblée de professeurs, un proviseur déclara sans retenue : « Nous ne sommes plus l’Education Nationale mais la Garderie Nationale. »

Pour moi, ce constat n’était pas une surprise mais c’était l’aveu d’un responsable du système éducatif qui était surprenant. Cela laissait supposer que ceux qui tenaient les commandes de l’Ecole de la République n’y croyaient plus : comment croire que ceux qui instruisaient pouvaient encore instruire ?

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Crois-moi fiston, le métier a beaucoup changé en vingt ans. N’essaie même pas de leur apprendre quelque chose ou de leur inculquer des bases. Contente-toi de faire de la garderie

D’ailleurs, voilà belle lurette qu’on ne parlait plus « d’instruction publique » mais d’enseignement. Et justement, j’étais un enseignant : en saignant. C’est pourquoi, ce jour-là, je décidais de cesser d’en saigner.

Il y a un paradoxe à vouloir instruire des élèves tandis que leurs parents sont convaincus que les enseignants doivent les servir. En effet, élèves et parents sont devenus, depuis la fin des années 1990, des clients d’une Ecole de plus en plus assujettie à la loi du marché : ce sont eux les véritables donneurs d’ordres relayés en cela sur le terrain scolaire par les Chefs d’établissement, premiers exécutants. Sans oublier leurs auxiliaires : les Inspecteurs chargés de maintenir sous le joug, des enseignants devenus les derniers serfs de l’ère post-industrielle selon les propos du philosophe Michel Serre (in « Le Monde de l’Education » en 1996).

Mais que font les profs s’ils ne peuvent plus instruire ? RIEN.

La plupart se réfugient derrière les grilles des programmes qui comme leur nom l’indique enferment professeurs et élèves dans une prison sans relation avec l’Humain qui est pourtant la «matière» primordiale.

L’École est donc liberticide : alors que professeur et élèves sont enfermés ensemble dans un même endroit, les parents vont travailler ailleurs ou désespèrent de s’y rendre. Parce que les pressions qu’ils subissent dans leur vie professionnelle sont de plus en plus fortes, à cause du traumatisme du chômage, les parents d’élèves considèrent l’Ecole d’abord comme simplement utilitaire, ensuite comme un moyen de différer l’entrée de leurs enfants dans le monde difficile du travail.

Les parents ne sont pas dupes : ils savent bien que l’École, sous couvert d’une mission éducative, est le premier employeur de l’État. Ainsi, les fonctionnaires de l’Education Nationale font des envieux, cristallisent les rancœurs et, parfois, en temps de crise, la HAINE.

À ce moment-là, on peut dire : l’École est finie.

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LE PROF ET LES ELEVES (PREMIER EPISODE)

Au début, il y avait la F.E.N. (Fédération de l’Éducation Nationale) plus connue sous le pseudonyme de « forteresse enseignante ». Puis en 1992, la forteresse s’est écroulée, minée de l’intérieur et assiégée par les non-enseignants…

Sans forteresse, le monde enseignant devenait vulnérable.

Cependant, une idée émise par certains de la F.E.N. de « placer l’élève au centre du système éducatif » subsista et fit son chemin; c’est cette tautologie qui perdure depuis une dizaine d’années dans l’esprit de ceux qui font et défont les politiques éducatives; tautologie car on peut se demander s’il est nécessaire d’affirmer qu’on n’éduque pas des tables ni des chaises dans une salle de classe mais plutôt ceux qui sont derrière les tables et assis sur les chaises !

Si un esprit éclairé avait seulement dit : « l’élève au centre … oui, mais nous voulons dire en réalité : l’élève et son professeur »

Il n’y aurait plus tautologie mais épanorthose.

« Et, Panor ! t’oses ?
– Oui ! »

INTERMEDE :

C’est l’histoire de Momo qui se plaint sans cesse à son père de son horrible prof de maths qui le persécute lui et tous les autres de sa classe avec des exercices ardus, des contrôles répétés.

Succombant aux gémissements de son fils, le père décide de prendre rendez-vous avec le prof qui les reçoit lui et Momo :

« – Vous vouliez me voir, qu’est-ce qui vous amène ?
– Eh bien monsieur, voilà, Momo n’en peut plus des maths et moi je n’en peux plus de ses plaintes. Vos cours sont trop durs, vos contrôles sont trop durs, vous-même êtes trop dur : vous traumatisez mon fils ! »

Alors, le prof de maths, s’adressant à Momo : « – Momo, deux et deux, ça fait combien ?

Et Momo de s’écrier : « – Ah ! Tu vois papa, i r’commence !!!! . »

FIN DE L’INTERMEDE.

Plus sérieusement : dans ses Propos de pédagogie, le philosophe Alain, écrivait : « Il faut que l’enfant connaisse le pouvoir qu’il a de se gouverner et d’abord de ne point se croire » (C’est nous qui soulignons) Or, non seulement la « Totologie » fait de l’enfant/de l’élève, un ignorant mais encore un petit tyran.

À ce propos, j’étais un jour au C.D.I (Centre d’Informations et de Documentation) avec un groupe d’élèves dits « difficiles » qui avaient pour consigne d’observer et de désigner sur une planisphère, les continents. L’un d’entre eux, arrivé ce matin-là avec un bon quart d’heure de retard sans une parole d’excuse, visiblement très agité et l’esprit préoccupé par tout autre chose que de l’École, me fit remarquer qu’il ne comprenait RIEN sans savoir lui-même précisément ce qu’il ne comprenait pas ; je finis par ne plus répondre à ses questions qui n’en finissaient pas et qui n’étaient que des récriminations contre un travail qu’il ne voulait pas faire : il y a des limites à la mauvaise foi !

Agacé par mon mutisme stoïque, le jeune homme m’apostropha vivement tel le larbin de service :
« – M’sieu, c’est vot’ boulot de m’répondre, c’est vot’ boulot d’ m’aider, vous devez m’aider ! »

Ce à quoi je répondis :
« – Mon boulot, jeune homme, ce n’est pas de vous servir mais de vous instruire. »

(C.q.f.d.) Réplique qui lui cloua le bec aussi sec !

Cette anecdote montre que les élèves, même les plus retors, sont capables d’admettre qu’ils ne sont pas forcément au centre du système ni du monde, encore moins au centre de tous les regards faussement émerveillés, de toutes les attentions hypocritement bienveillantes de ceux qui sont sensés les éduquer.

Il est vrai qu’il est plus facile d’être démagogue que pédagogue.

Donc, depuis 30 ans, on ne demande pas à l’élève d’aller vers l’adulte, de se hisser vers plus grand que lui mais à l’adulte d’aller vers l’enfant, de se baisser vers plus petit que lui… C’est pourquoi, il n’est pas rare de voir et d’entendre un Chef d’Établissement donner l’accolade et parler à un lycéen :
« Alors, ton prof de maths, tu le kiffes pas trop : va falloir quand même que ça change ! »

Comment le jeune peut-il comprendre l’injonction tant elle est ambigüe ?

Comment peut-il accepter et respecter l’autorité d’un adulte qui joue au jeune ?

Depuis longtemps, ces adultes démagogues considèrent les jeunes immuablement, sans nuance, avec le ton affectif de ceux qui veulent toujours avoir le beau rôle, comme des « GAMINS » ; des gamins qui, à 15 ans, bien pourvus de tous les attributs qui en font des individus de sexe masculin ou féminin, ont déjà vu quelques films pornographiques, participé à quelques bizutages et savent sur quel site internet se procurer des armes de guerre !

En 2012, il est un fait que plus personne n’ignore : la violence à l’École, la violence des jeunes entre eux qu’elle soit verbale ou physique, est en recrudescence.

Faut-il chercher des coupables quand aucun adulte n’est responsable ?

LE PROF ET LES POLITIQUES (DEUXIEME EPISODE)

Cherchons alors des responsables du côté des politiques.

Vaut-il mieux une Droite qui déteste franchement les profs, qu’une Gauche qui les aime mollement ? En tout cas, nous avons en France une chance : c’est l’alternance !

En ce mois de septembre, le nouveau Ministre de l’Education se déplace dans un lycée de province. C’est en homme pressé, au pas de charge, qu’il traverse les lieux sous les regards médusés du personnel bien aligné. Il n’a pas le temps, ni l’occasion d’être interpellé sur les nombreux problèmes de cette rentrée scolaire : les enseignants sont cois.

Sourires du Ministre à l’adresse des caméras, des journalistes et des autorités pédagogiques en costumes sombres qui l’accompagnent ; échanges de courtoisies.

Dehors, aux portes du lycée, stationne un car de C.R.S…

Le Ministre est un ancien prof, tout comme le Maire de la ville qui l’accueille, comme son Premier Adjoint, son député, ainsi que le Président du Conseil Général.

Cependant, aucun d’entre eux ne songe à revenir dans une salle de classe, aucun d’entre eux d’ailleurs n’y retournera sauf en passant, rapidement, pour une visite de politesse.

Comme les enseignants qu’ils furent un moment, ces hommes de pouvoir qui ne peuvent rien, exercent aussi un métier que Freud qualifiait d’impossible.

En effet, quand on mesure la difficulté pour contenir les courants qui agitent une classe de trente élèves, on mesure celle qui agite une ville entière…

Alors que faire ?

Surtout : pas de vague !

La politique est comme un art martial : « agir dans le non-agir »

L’enseignement pourrait l’être également pour peu qu’on veuille bien considérer l’éducation comme un art et non comme une science.

De fait, quelles que fussent les décisions politiques prises ces dernières années, le métier d’enseignant a cessé d’être attractif : les candidats aux CAPES de maths et de lettres étaient, il y a un an, plus nombreux que les postes offerts aux concours !

Finalement, les forces d’inertie conjuguées des systèmes politiques et éducatifs n’ont pour résultat que de générer, à l’intérieur, des formes de violence plus ou moins intenses qui font épisodiquement la Une des Faits Divers.

C’est sans doute le prix à payer, à la marge, pour maintenir le système.

« Jusqu’ici, tout va bien… » répète la voix-off du générique du film de Matthieu Kassowitz « La Haine » ; générique qui montre le corps d’un homme qui tombe dans le vide au ralenti depuis le dernier étage d’une tour d’immeubles …

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INTERMEDE :

Quelle différence y-a-t-il entre un Tampax® usagé et un prof qui part à la retraite ? Aucune : ils sortent tous les deux du corps en saignant / enseignant.

FIN DE L’INTERMEDE.

LE PROF ET/HAIT LES PROFS (TROISIEME EPISODE)

“Dégraisser le mammouth » Cette formule curative à l’intention du M.E.N. (ministère de l’éducation nationale) fut reçue comme un coup de poing par les enseignants, probablement à tort car il n’est pas certain que l’auteur de cette formule ait voulu corriger les profs…

En effet, le M.E.N. est un ministère d’accueil, c’est à dire qu’il emploie non seulement des enseignants mais encore beaucoup d’autres personnels qui n’en sont pas et qui viennent d’autres ministères, d’autres administrations.

Y-a-t-il proportionnellement plus de personnel dans les bureaux, dans les administrations que dans les établissements scolaires, dans les classes face aux élèves ?

On ne l’a jamais su faute de chiffres et on n’en sait pas plus à présent sinon que depuis la « formule coup de poing » on sait que l’ensemble ressemble à un gros mammouth et un mammouth gras se déplace à petits pas !

Tout comme la carrière du prof qui avance à petits pas quoiqu’il arrive : à l’ancienneté (principe du mammouth). En soi, l’allure n’est pas mauvaise, plutôt confortable pourvu que chacun adopte la même. Pour ce faire, il faut une unité relative, un corps uni. Or , ce n’est plus le cas.

L’écroulement de « la forteresse enseignante » (la F.E.N.) nous l’avons dit, correspond à la fin de l’unité du monde enseignant.

Il fut un temps, dans les années 1970-80, où les salles des profs étaient des lieux de discussions, de débats, parfois vifs, sur l’actualité, la vie politique, etc….un peu comme dans les réunions de familles : on s’engueule mais on se retrouve.

A présent, la plupart des salles des profs sont des lieux silencieux, de passage, où les profs se croisent, échangent quelques informations pratiques, parfois des revendications et surtout des jérémiades, des bavardages qui deviennent souvent commérages ; selon des études récentes très sérieuses, les commérages constituent un moyen sûr pour maintenir l’unité d’un groupe : le commérage serait ainsi l’ultime moyen des profs pour maintenir l’unité du monde enseignant !?…

Le prof hait les profs donc. D’ailleurs, le pire qu’un prof ait à redouter d’un parent d’élève c’est qu’il soit également prof !

C’est justement ce qui arriva à mon copain Paulo, prof de gym, surnommé « Paulo-costaud » qui interdit un jour par temps de pluie, l’entrée du gymnase à deux collégiennes n’ayant pour tout équipement sportif qu’une paire de mini-jupes et de chaussures à semelles compensées. C’était le printemps et les demoiselles se mouillèrent copieusement, se trempèrent sans vergogne et s’enrhumèrent si fort qu’on s’en offusqua avec elles, « les pauvres gamines ! » (sic) : « on » ce sont leurs parents-profs, le chef d’Etablissement, plus l’Inspecteur d’Académie et quelques autres.

Pour sa défense, car bien entendu Paulo fut accusé d’être un horrible tortionnaire, « bourreau d’enfants » (sic) il dût rédiger des tonnes de courriers, encaisser les remontrances les plus injustes et injustifiées ; mais : « Paulo-costaud » laissa pisser le mammouth !

Le prof hait les profs.

Avant, les profs étaient presque tous des fonctionnaires d’Etat issus des concours. Aujourd’hui, les profs sont indifféremment maître-auxiliaire, contractuel, titulaire sur zone de remplacement, stagiaire, prof en passe de subir une mesure de carte scolaire, prof affecté sur 2 voire 3 établissements, etc.

Le prof hait ce qu’il est devenu, c’est-à-dire un corps éclaté, une variable d’ajustement comptable pour l’administration.

Ainsi A. jeune prof agrégé , titulaire sur zone de remplacement qui fut suspendu de 15 jours de salaire pour avoir refusé un remplacement de 15 jours situé à 250 kilomètres de sa base d’affectation. A. fut convoqué dans un obscur bureau suite à un « mail » de cinq lignes comportant trois fautes d’orthographe, reçu par un anonyme agressif qui lui fit une leçon de morale en des termes approximatifs, à lui, ancien élève d’un grand lycée parisien, agrégé de lettres à 24 ans !

De quel côté se trouve le mépris ?

Il n’est donc pas rare de voir de jeunes titulaires démissionner : Claire, professeur des Ecoles, Bac S avec mention, master1 d’anglais à 22 ans est retournée chez ses parents au bout d’un an… Il y a aussi mademoiselle Rose, prof d’anglais, violoncelliste amateur, qui le soir prépare ses cours, sagement assise devant son ordinateur. Elle me confie un jour, comme à son père, qu’elle et son ami hésitent à faire un enfant tant ceux dont elle s’occupe au collège l’épuisent, tant son métier lui prend, même s’il lui en laisse un peu pour le violoncelle, tout son temps ! Le prof devrait-il être, comme dans l’Ancien Régime, un curé ou une bonne sœur, dévoués corps et âme à son métier ?

Un métier pour lequel certains parlent encore aujourd’hui de « vocation » tandis que ceux qui répondent à l’appel sont de moins en moins nombreux.

En outre, c’est vite oublier ce qui fonde l’Ecole Publique : la laïcité.

Mais la nouvelle organisation du travail n’a que faire de l’histoire de l’Ecole et de la laïcité : elle veut des profs qui aiment exclusivement leur métier, des profs davantage présents dans les établissements, des profs qui ne comptent pas leurs heures, des profs qui ne font pas qu’enseigner et organisent des « activités » pour les élèves , des profs-psychologues qui écoutent les problèmes personnels des élèves, des profs qui aiment les élèves comme leurs propres enfants, quand ils en ont !

En un mot, la nouvelle organisation du travail veut de l’amour ; en attendant c’est la haine, haine de soi, haine entre soi, qui en préfigure l’avènement, car comme chacun sait, la haine est l’envers de l’amour.
Mais, attention : l’amour que veut la nouvelle organisation du travail sera, à n’en point douter, l’avènement d’un amour absolu, TOTAL et TOTALITAIRE ! “Big brother is watching you !”(« 1984 » George Orwell.)
INTERMEDE.

Dans un collège de campagne, c’est la récréation, Momo est dans la cour qui jouxte celle de la ferme d’à côté où se trouve un tas de fumier qui déborde un peu.

Momo est assis, il joue à malaxer de la terre qu’il mélange avec du fumier.

Arrive un surveillant un peu étonné par l’activité de Momo.

« – Qu’est-ce que tu fabriques, Momo, là ? Ca va pas ?

– Si, si , ça va bien.

– Mais qu’est-ce que tu fabriques alors ?

– Ben voilà, je mélange un peu de sable, un peu de boue, un peu de fumier : je fais un surveillant !

– T’es pas net, Momo ! T’es vraiment pas net ! » lui dit le surveillant en se dirigeant vers la salle des profs où il croise un prof d’anglais à qui il raconte sa conversation avec Momo.

Le prof va voir Momo toujours à côté du tas de fumier dans la cour.

« – Alors Momo, qu’est-ce que tu fais ? Ca n’a pas l’air d’aller?

– Si, si , je mélange un peu de sable, un peu de boue, un peu de fumier et je fais un prof d’anglais !

– Bon Momo, ça suffit là, tu te fous de nous : je vais en parler au Principal, ça va pas se passer comme ça ! »

Le prof d’anglais rend compte au Principal qui s’approche de Momo toujours dans la cour près du tas de fumier.

« – Alors Momo, tu vas rejoindre ta classe sans tarder, mon garçon.

– Ben non, je suis bien là.

– Ah oui, t’es bien là ? A mélanger de la boue, du sable, du fumier … Tu serais pas en train de faire un Principal par hasard ?

– Non, pas du tout : y a pas assez de fumier ! »

FIN DE L’INTERMEDE.