La guerre mondiale des médocs

Un de mes amis qui avait travaillé au Zaïre, pour une ONG, dans la province du Kasaï, peu avant la chute de Mobutu, me racontait récemment comment il avait tenté, mais en vain, de mettre en place une filière d’approvisionnement en médicaments pour l’hôpital que l’ONG qui l’employait avait réhabilité.

“J’ai vraiment pris conscience du drame humain qui se jouait dans ce village lorsqu’un ami médecin kassaïen m’a dit qu’on lui avait amené une gamine de vingt ans et que celle-ci peu après était tombée dans le coma. Son diagnostic était simple: insulino-dépendance. Son pronostic: la mort sous vingt-quatre heures.<

Je ne suis pas médecin, mais juste logisticien. Ma responsabilité était d’approvisionner la mission en tout ce dont elle avait besoin pour travailler. Dont bien sûr les médicaments.

Je savais que pour aller à Kinshasa, par la route, en camion, il fallait 3 semaines à 1 mois, mais que le fret pouvait passer par l’avion, y compris celui qui desservait la Minière du Bakwanga toute proche. A la capitale, il était peut-être possible de trouver de l’insuline. Mon ami kassaïen m’expliqua qu’outre le régime alimentaire que cette gamine aurait dû suivre, ce qui n’était déjà pas si simple, elle aurait dû subir une piqûre quotidienne d’insuline précédée d’un test de mesure pour dosage. Coût du traitement, hors intervention de mon ami: un dollar par jour.

Le vrai problème n’était donc pas de diagnostiquer la maladie, ni même de trouver l’insuline, ou encore de payer le traitement, non plus de former quelqu’un à l’administration de celui-ci. J’étais profondément révolté. Le seul problème était l’acheminement du médicament: le Zaïre ne représentait tout simplement pas un marché pour les laboratoires de production d’insuline.”

J’ai repensé à cet ami dernièrement à propos de ces laboratoires qui se sont ligués (mars-avril 2001) pour défendre leurs brevets sur les molécules qu’ils produisent. Contre des pays comme l’Afrique du Sud, le Brésil ou l’Inde qui veulent produire ces molécules sans payer de droits. C’est-à-dire faire en sorte que leurs populations (et tout le continent et l’arrière pays par là-même) puissent s’auto-suffire. Le problème des médicaments contre le SIDA n’est qu’une toute petite facette d’une politique de restrictions et d’abandon de toute une partie de la population mondiale à la déchéance physique.

L’injustice en chiffres est criante. Sur les 1 223 médicaments développés entre 1975 et 1997, seulement 13 servent au traitement d’une maladie tropicale. Les pays en développement représentent plus de 75% de la population mondiale, mais seulement 8% du marché pharmaceutique mondiale. Les prix pratiqués par les laboratoires occidentaux sont abusifs. Ceux des antirétroviraux ont été réduits de plus de 80% en cinq ans au Brésil lorsque lorsqu’ils sont produits sans droits. D’autant plus injustes que la recherche publique a largement participé à l’élaboration de ces molécules Exemple: le ddI, qui rentre dans la trithérapie a été découvert par un institut de recherche public. Mais il a été ensuite breveté par Bristol Myers Squibb. (sources MSF).

Comment ne pas considérer que mes impôts ont été volés par ce labo?

Et comment ce délaissement pourrait-il générer un autre sentiment que de la haine? Progressivement ces populations, iniquement sacrifiées aux maladies, perçoivent les vraies responsabilités. Face à ces morts que l’on pourrait prévenir à moindre coût, la colère monte. La guerre contre la maladie risque d’être une autre guerre perdue par l’Occident si celui-ci ne traite pas le seul et unique virus qui en soit responsable: son égoïsme.