Le con est-il auto-référencé ? La preuve par la spéculation.

anneau de moebiusLe con est-il auto-référencé ?

La réponse est bien évidemment oui ! Le con se nourrit et vit dans l’autoréférence. Et il ne s’en aperçoit même plus. La forme sublimée du con autoréférencé est celle du spéculateur.

Elle vaut que l’on s’y intéresse d’un peu près. Car je vous le dis, 2018 sera l’année du grand retournement économico-financier ! Celle du collapse généralisé comme dit l’ami Paul Jorion. Puisque rien n’a été fait en dix ans pour empêcher que ne revienne la crise de 2008. Hormis injecter sur les marchés quelques milliards de liquidités – environ 4 500 milliards de dollars pour la Fed et 4 600 milliards de dollars pour la BCE à fin 2017 – c’est à dire introduire bien plus de spéculation, profitant aux riches, que d’investissement productif, profitant à tous.

Au XVIIème siècle, lorsque les premières bourses sont apparues en Europe (ces crétins d’Anglais étaient encore à la pointe… suivis des Français !) il s’agissait pour les affréteurs des coques de noix à destination des Zindes lointaines, de lever des fonds afin de financer une activité particulièrement risquée mais également très lucrative : le trafic d’épices. Ce modèle de financement a ensuite été généralisé à tout type d’entreprise. Il s’est perfectionné au XIXème siècle avec la société au capital divisé en actions, lesquelles sont rémunérées par un dividende.

Si l’on considère la Bourse comme un marché, l’institution ne fait qu’organiser la rencontre d’une demande et d’une offre d’argent. De ce point de vue, les apporteurs de fonds s’intéressent à quelques critères fondamentaux : est-ce que la société dans laquelle je souhaite investir est rentable ? Réalise-t-elle des bénéfices ? Les distribue-t-elle à ses actionnaires ? L’investisseur s’intéresse aux comptes de l’entreprise. Il dépose ses fonds en se garantissent sur les actifs de celle-ci. Il compare le risque qu’il prend aux gains financiers qu’il en attend. Tout ceci paraît socialement et financièrement juste. Pour créer de la valeur et s’enrichir collectivement, la société a besoin d’entrepreneurs qui innovent et entreprennent, mais aussi de matière grise ou de bras de travailleurs qui contribuent à l’élaboration de cette valeur et enfin de financeurs qui financent. Selon l’éternelle et simplissime combinaison « marxienne » : Production = Travail + Kapital + innovation technique.

Sauf que, régulièrement, tout le système se met à déconner grave. Dès l’origine de l’histoire, il en a été ainsi. Ce qui prouve, si besoin était, que la connerie ne date pas d’hier. Ce fut le cas lors de cette folie soudaine sur le prix des oignons de tulipe en Hollande au XVIIème siècle. Ou encore celle sur la valeur des sociétés de chemin de fer à la fin du XIXème. Et la dernière déconnade en date, porte sur les valeurs technologiques à la toute fin du XXème siècle. Laquelle n’a jamais été comprise et je prédis à Facebook ou Google, dans un avenir proche, le même sort que celui de Yahoo en 1999.

Que se passe-t-il lors de ces grandes souffleries de spéculation, que l’on peut considérer comme autant de crises d’autoréférencement ?

Pour le comprendre, il faut d’abord bien faire la différence entre ce que rapporte chaque année une action, à savoir son dividende. De ce que vaut l’action sur le marché, à savoir son cours. Le cours d’une action peut être multipliée par deux, trois ou cent sur une courte période de temps. Lors d’une vente, ladite action rapporte alors deux, trois ou cent fois son prix d’achat. Mais elle ne rapporterait qu’un faible dividende parce que la société ne produit – proportionnellement – que peu de bénéfices (ou en produit, mais ne les distribue pas). L’investisseur boursicoteur ne s’intéresse qu’aux cours des actions; l’investisseur fondamentaliste, aux dividendes qu’elles rapportent. Aujourd’hui, les premiers tendent à être les plus nombreux. Et de très très loin…

Je peux, en tant qu’investisseur rationnel, ne m’intéresser aux fondamentaux d’une entreprise. Quand d’autres ne s’intéresseraient qu’aux apparences : la boîte a-t-elle une communication sympa ? Ses dirigeants sont-ils médiatiques et charismatiques ? Combien a-t-elle licencié de personnes ce mois-ci ? Les petits fours lors de la dernière AG des actionnaires, étaient-ils bons ? Et si les investisseurs sont soudain plusieurs à ne plus se préoccuper que de l’écume des vagues plutôt que de la stratégie de production de l’entreprise, ça crée une tendance. Imaginons que celle-ci parte à la baisse (les petits fours étaient mal décongelés). Bien que les fondamentaux de l’entreprise prédisent des profits records, grâce par exemple à un nouveau brevet dont l’annonce a été bâclée. Quand bien même je pense qu’une entreprise pourrait casser la baraque – et donc que le cours de son action devrait s’envoler – si tous les autres acteurs anticipent l’inverse, le cours de l’action se mettra à baisser. Imaginons que telle soit la tendance. Si tout le monde vend alors que j’achète, ma position devient intenable et je dois vendre également, alimentant à mon tour la baisse.

Ici intervient un acteur nouveau, totalement automatisé, à savoir le trading haute fréquence (THF). Ce sont des algorithmes d’achat et de vente d’actifs selon des critères pré-définis. Le THF, c’est vélociraptor lâché dans le poulailler des boursicoteurs traditionnels. Le « haute fréquence » est défini par la réglementation européenne. Si la fréquence des ajustements de position dépasse au moins deux messages (ordres, cotations, annulations de cotation, confirmations…) par seconde sur un instrument financier (pour simplifier, une action) et une plate-forme (pour simplifier, une place boursière), ou quatre messages sur plusieurs instruments et une plate-forme, c’est du THF.

La machine de THF passe un ordre d’achat (par exemple) et l’annule dans la microseconde qui suit. Ce qui lui permet cependant au passage de savoir : un, qu’il y a potentiellement en face un vendeur (toujours par exemple) et deux, à combien celui-ci est prêt à acheter. Ce qui permet à l’algorithme de savoir de manière certaine et non plus prédictive, de combien la transaction lui est bénéfique, très bénéfique, ou si elle est à chier. Après avoir testé tous les autres acteurs de cette façon-là, il pourra à la suivante, finaliser en maximisant son gain. Ou pas. Les trédeurs avaient remplacés les boursicoteurs, le THF remplace désormais les trédeurs. Depuis quelques années sur les salles de marchés, les trédeurs sont « dead ». Mais avant de disparaître tels des dinosaures, ils ont glissé toute leur intelligence dans ces fameux algorithmes de THF.

Aujourd’hui plus qu’hier le constat est : la logique de spéculation est toujours plus forte que l’examen de critères fondamentaux. Amplifiée qui plus est par le THF. Il ne faut pas regarder ce que font les entreprises, il faut essayer de deviner ce que « pense » le marché… dont on fait soi-même partie : c’est en cela que le système est auto-référencé.

A partir de cet infime exemple, passons à une généralisation théorique. Quelle appréciation un acteur peut-il porter sur un phénomène, quelqu’il soit, dès lors qu’il fait partie dudit phénomène ? Qu’il soit acteur économique, acteur politique, ou tout simplement acteur humain, plongé dans le monde.

C’est avec la philosophie grecque et la logique, que les premières apories (ou impasses logiques) ont été conceptualisées. Ainsi celle d’Epaminondas le Crétois déclarant : « Tous les crétois sont menteurs ». Faut-il le croire ? Ou bien il dit la vérité et dans ce cas… il ment (puisqu’un Crétois ne peut dire la vérité) ; ou bien il ment et dit alors la vérité (les Crétois sont bien des menteurs). Bertrand Russell (1872-1970) étendit ce paradoxe et en nomma le résultat : « ensemble auto-inclusif ». Il l’exprime ainsi : l’ensemble des ensembles n’appartenant pas à eux-mêmes appartient-il à lui-même ? Ou encore : si un barbier propose de raser tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes, et seulement ceux-là, le barbier doit-il se raser lui-même ?

L’autoréférence est stricto sensu une proposition indécidable. La logique la conceptualise et jette l’éponge simultanément. Elle a en outre établi que tout système mathématique (en tant que description formelle d’une réalité universelle) comporte ce type de proposition. Il est de plus certain que toute machine ou algorithme à qui serait donner à traiter une aporie de ce type, s’égarerait dans une boucle logique récursive infinie.

La perception que le cerveau a de la matière, n’est-elle pas paradoxale ? N’éprouvez-vous pas un certain malaise à penser que le cerveau, lui-même matière bio-chimique, puisse contempler de la matière ? Seul le cerveau d’un con, n’éprouvera aucun vertige à la phrase suivante : le monde est dans l’esprit, qui est dans le monde. Comme un oeil qui se verrait lui-même. L’anneau de Moebius peut nous donner une idée de cet autoréférencement du monde et de l’esprit.

Mais c’est ici que le con triomphe. Pour sortir de cette aporie – comme du labyrinthe de Jorge Luis Borgès – il suffit de décider arbitrairement de prendre à gauche plutôt qu’à droite. Et de toujours suivre cette règle, à gauche, à gauche, à gauche… Il suffit de décider que : oui ! oui ! oui ! Plutôt que : non ! Le con pense que finalement les deux réponses ou les deux chemins se valent. Ce qui est bien sûr erroné. Mais il ne s’en apercevra jamais, car il sera mort avant.

Dans le « grand collapse » qui vient…

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