Dans une de ses éclairantes conférences, le biologiste et philosophe Albert Jacquard parle de la différence entre travail et activité. Le travail, dit-il, est inutile car, à l’origine, c’est une torture, tandis que l’activité, elle, est non seulement utile mais encore nécessaire. Ainsi, l’activité du professeur n’est pas un travail, selon lui, parce qu’elle permet l’échange, les interactions, les apprentissages et le développement de l’esprit critique. Il y a beaucoup d’autres activités qui ne sont pas du travail, qui favorisent la relation avec les autres, permettent les créations : la peinture, la musique, la danse, la poésie, la littérature.
Pour Albert Jacquard, l’activité des hommes préhistoriques quand ils dessinaient des figures d’animaux sur les parois des grottes, bien avant de cultiver la terre, était plus essentielle que le travail agricole, ou plutôt la production agricole.
Nous y voilà…. Le travail que nous pouvons considérer comme inutile parce que générateur de souffrances est le travail productiviste, celui qui conduit les hommes à fabriquer, à accumuler et à consommer des objets, des « biens de consommation », à profusion, sans limite.
Alors, la crise sanitaire mondiale que nous traversons sera, peut-être, l’occasion de prendre conscience de l’inutilité du travail et de la nécessité de l’activité. D’ailleurs nous mesurons déjà combien certaines activités sont essentielles à la communauté humaine : l’activité des soignants, celle des enseignants (tandis que de nombreux parents se rendent compte, dans le confinement avec leurs enfants, des trésors de patience et de pédagogie qu’il faut pour éduquer et enseigner), celle des policiers et des gendarmes chargés de veiller au respect du confinement, sans débordement d’autorité, celle des artistes dont les salles de spectacles sont fermées et qui sont actifs à distance grâce aux réseaux sociaux, celle des artisans, des commerçants, des caissières des supermarchés, des aide-ménagères et soignantes auprès des personnes vulnérables, des éboueurs.
Et comme par hasard , la plupart de ces activités utiles et nécessaires à la collectivité outre qu’elles sont parfois méprisées, mal rémunérées, sont des activités que celles et ceux qui les exercent peinent le plus à exercer, depuis de longues années. En effet, ils réclament sans arrêt à ceux qui les administrent et les contrôlent, aux politiques qui décident, souvent sans concertation, de l’orientation de leur activité, davantage de moyens. En vain !
C’est pourquoi nous espérons que « le jour d’après », nous saurons voir la différence entre travail et activité, que nous aurons le courage de renvoyer à leur inutilité, celles et ceux dont le travail n’est pas une activité.
En complément, chers lectrices et lecteurs, je vous invite à lire ou relire le passage numéroté 42 dans la première partie du Gai Savoir de Friedrich Nietzsche, intitulé Travail et ennui.
Bon confinement à tous.
Professeur Mottro