Entretien avec un auteur de polars

Le Conotron : Xavier Rugiens, es-tu écrivain, romancier, auteur ?

Quand j’étais gamin, que ma marraine à moustache me posait la question : « et toi mon petit, quand tu seras grand, qu’est-ce que tu veux faire dans la vie ? » je répondais « écrivain et chasseur ». La faute à une imago paternelle trop prégnante, sans doute ! A cause d’un père prof et amateur de gibier. Alors aujourd’hui, écrivain, oui, peut-être… Certainement pas pour croûter, parce que le métier est sinistré, 10% sur un tirage à moins de 1000 exemplaires, … autant dire des cacahuètes. Chasseur, c’était peut-être dans l’idée de compléter, faire bouillir la marmite. Faut croire que j’avais déjà le sens des réalités. En fait être publié n’a jamais été le plus important dans ma démarche. C’est un truc de vieux, ça vient avec l’âge, vouloir à tout prix laisser une trace de son passage sur terre. Mais l’écriture a été l’activité autour de laquelle j’ai fait tourner ma vie. Surtout à l’adolescence quand j’ai commencé à écrire des poèmes. Je me considère donc plutôt comme poète ou philosophe, à la façon d’un Diogène. Sauf que je me lave plus souvent les fesses que ce gars-là et que je ne suis pas bourré 24 sur 7.

Le Conotron : Combien de refus faut-il essuyer avant de parvenir à décrocher quelque chose ?

Ca fait à peine deux ans que je me frotte aux concours de nouvelles dans l’espoir de percer. Evidemment, j’ai fait des bides. Mais c’est justement ce qui permet de trouver son public. On se dit : mon histoire ne les a pas touchés, pourquoi ? Et on avance, on améliore. Je reste quand même sélectif sur qui organise ces concours. Il n’y en a pas tant de sérieux que ça. Par exemple, je fuis les concours de micro-nouvelles, c’est un truc de jury fainéant. Je ne participe pas, non plus, aux faux concours organisés par des éditeurs. Ni aux concours où le réseau social de l’auteur prime sur le bon goût. Mon coup d’essai, pour la Fureur du Noir à Lamballe en 2015, fut couronné de succès. D’avoir gagné, m’a donné des ailes…

Le Conotron : Pourquoi as-tu commencé à écrire ? Pourquoi continues-tu ?

Les « pourquoi » sont toujours assez mystérieux. Je leur préfère bien plus les « comment ». Je me regarde en train pédaler, c’est plus facile que de se demander pourquoi tient le vélo. Ceci posé, j’écris depuis très longtemps. Je me suis vraiment rendu compte du pouvoir des mots en écrivant un pastiche de Charles Baudelaire. La mécanique s’est enclenchée là-dessus. Après ça, je voyageais toujours avec un papier et un crayon. Je suis parti en Egypte, en Anatolie, en Bosnie. J’ai aussi fait le tour de ma chambre, pour voir… Un petit carnet à spirale, des amis, du vin, des paysages, c’est le grand bonheur. Rétrospectivement, je me dis que ce que j’écrivais était bien sombre. L’influence mélancolique du romantisme, et l’arnaque surréaliste d’une glorification du poète maudit. J’aurais peut-être dû lire plus de bons auteurs. Même si je connaissais déjà Albert Camus, Anatole France ou Henry Miller. Mon regard a changé depuis. Aujourd’hui je me dis que l’écriture doit être jubilatoire, si on veut que la lecture soit joyeuse.

Le Conotron : Qu’entends-tu par là ? N’est-ce pas toujours le cas ?

Bien sûr que non, ce n’est pas toujours le cas. Il y a bien longtemps que je ne comprends plus rien à certaines histoires nombrilistes, que les crétins d’aujourd’hui nomment : autofiction. Je crois que j’ai décroché avec Duras, en fait. C’est si peu romancé que s’en est gavant. J’ai aussi laissé tomber le psychologisme à deux balles de certains textes, avec des héros qui n’en sont pas. Après, l’âge aidant, il y a aussi les options morales ou politiques irréconciliables avec ce en quoi je crois. Donc je me dis que d’autres lecteurs sont fatigués eux aussi, qu’ils attendent des choses plus feunes que ce que leur propose leur libraire. Et pour écrire ces textes-là, il faut soi-même être dans une attitude de pensée joyeuse. Le contraire de l’égoïsme, quoi ! Si je me marre à écrire quelque chose, mon lecteur devrait se marrer aussi, non ? Enfin, je l’espère.

Le Conotron : Mais alors, pourquoi de la littérature noire ?

J’ai commencé par ça, mais au fond je pense qu’il faut absolument croiser les genres, comme Jorge Luis Borges ou Philip K. Dick. Polar, fantastique, science-fiction. Il ne faut surtout pas les cantonner sous peine de les scléroser. La S-F est déjà très mal en point. Ils sont loin, les Balard, Huxley ou Barjavel, alors que  le monde moderne n’a jamais eu autant besoin d’être questionné. Sur le clonage, les nanotechnologies, ce genre de chose. Suivez un peu les conneries qui se racontent sur le transhumanisme, c’est à pisser de rire. Idem pour le polar, c’est une des dernières littératures qui puisse poser de vraies questions politiques. Comme : dans quelle société de surveillance voulez-vous vivre ? Quel est votre seuil de tolérance à la violence interpersonnelle, psychologique, sociale ? Acceptez vous toute cette cruauté que les médias vous balancent à la gueule ? Jusqu’où va la catharsis d’un récit ?